Je descendrai les trois marches du bus avec mon petit sac sur le dos, vaillamment, tel un conquérant découvrant sa terre, tandis que papa portera les lourdes valises que maman se sera acharnée à remplir, elle-même tirant mon petit frère par la main, son doudou serré entre ses petits doigts. Il fera très chaud, autour de nous s’étendront les champs de colza et de tournesols et une fois le bus parti, nous n’entendrons plus que le chant des cigales et le pépiement des oiseaux.
Nous marcherons alors sur le bord de la chaussée, avançant contre les herbes hautes et évitant soigneusement les orties et les ronces. Puis nous trouverons un petit chemin parsemé de cailloux blancs, ceux qui laissent des traces partout ! Je récolterai en marchant les premières mûres de l’été, que je m’empresserai aussitôt de goûter, songeant déjà avec joie et délectation aux futures tartes et confitures, dont l’odeur embaumera la cuisine. Maman me grondera un peu d’avoir déjà mes mains toutes tâchées, mais je lui donnerai la dernière mûre de ma précieuse récolte et elle ne sera plus fâchée.
C’est là que nous arriverons au vieux portail en fer forgé, celui un peu rouillé, qui grince lorsqu’on l’ouvre. Dans le jardin, les herbes auront tellement poussé qu’elles me dépasseront. Je serai alors aventurière luttant pour sa survie, dans l’espoir d’atteindre les marches en pierre grise du perron, victorieuse d’avoir triomphé de cette jungle impitoyable. Nous investirons tous la maison, ouvrant les volets en bois au verni écaillé, retirant les tissus blancs des meubles endormis par l’hiver passé. Je courrai jusqu’à ma chambre, me jetant sur mon petit lit, qui sentira cette odeur propre aux vieilles bâtisses, un mélange de poussière et de renfermé… Mais on adore.
J’emmènerai mon petit frère à la découverte du petit bois derrière la maison et nous passerons l’après-midi à sauver des princesses en détresse et à combattre des dragons effrayants au péril de notre vie. Je lui montrerai mes cachettes secrètes et lui raconterai les anecdotes fabuleuses de chaque endroit, un lutin par ci, un magicien par-là, un méchant troll ou encore un cavalier sur sa libellule… Puis la Reine Maman nous appellera à table et nous arriverons devant de grands bols de soupe fumante. Après ce réconfortant repas qui récompensera nos aventures de la journée, Papa nous racontera une histoire devant la cheminée allumée, dont les flammes dansantes et crépitantes éclaireront doucement la pièce.
Enfin, nous rejoindrons les draps propres et frais que Maman aura installés. J’enfouirai ma tête dans l’oreiller moelleux, les rêves déjà envahissant mon cerveau tombant dans les limbes du sommeil. Dans un dernier moment de lucidité éveillée, je songerai avec plaisir aux vacances merveilleuses dont je viendrai de passer la première journée…