A mes enfants, à l’amour inconditionnel.

Faustine ouvrait de grands yeux émerveillés. Pour la première fois de sa vie, qui lui paraissait déjà immense, elle allait prendre le nouveau métro pour se rendre à l’école. Pour sûr, ses copains seraient fiers. Elle se voyait déjà, dans la cour de récréation, expliquer à Manon et Augustin comment elle et son doudou lapin étaient montés dans le grand train, et qu’ils n’avaient pas eu peur. Elle trépignait d’impatience.

-Maman, maman ! Dis, maman, on peut s’assoir tout au bout, s’il te plaît ? Comme ça doudou lapin pourra conduire !

Un sourire tendre et amusé éclaira le doux visage de la femme qui lui tenait la main. Elle acquiesça, arrachant un cri de ravissement à la petite fille.

La masse de boucles noires indisciplinées tirait la main de sa mère d’un pas décidé jusqu’à l’avant du quai et se posa, les mains sur les hanches, devant les portes automatiques, prête à sauter dans la rame et prendre d’assaut le siège sacré qui lui permettrait de devenir, l’espace de quelques stations, la conductrice de la ligne b.

Soudain, le bruit annonciateur de l’arrivée imminente du métro se fit entendre et Faustine ne put s’empêcher de sautiller sur place :

-Maman ! Il arrive, il arrive !

La jeune femme ne put s’empêcher de rire devant l’impatience candide de sa fille, dont la fascination faisait d’ailleurs sourire l’ensemble des personnes présentes autour d’elles. Enfin la rame arriva, flambant neuve.

Les portes automatiques s’ouvrirent et instantanément, la fillette s’engouffra dans le compartiment, entraînant sa mère dans son sillage. Elle courait presque pour s’assoir sur le siège du tout-devant, qui fort heureusement, était libre. Une fois assises, elle se mit à genoux sur sa mère et agrippa la barre en collant son petit nez à la fenêtre.

-Mais. Maman ! C’est tout noir.

-Sois patiente ma chérie, il faut attendre qu’on démarre.

La sonnerie retentit, les portes se fermèrent et la petite secousse familière du démarrage se fit sentir, entraînant avec elle un retentissant :

– C’est partiiiiii.

Faustine s’était levée pour mieux conduire le train, tenant fermement doudou lapin contre elle. Alors qu’elle plissait les yeux pour essayer de distinguer quelque chose dans ce noir abyssal, un minuscule point lumineux apparut, puis grossit, grossit, jusqu’à ce que jaillisse la rame à la lumière du jour.

-Maman ! On est dans le ciel !

Le métro aérien surplombait le paysage, offrant en ce froid matin d’hiver un magnifique lever de soleil, qui éclairait la ville scintillante de gelée blanche. La petite fille ne disait plus rien, subjuguée par ce qui se déroulait sous son regard ébahi. Elle se tenait des deux mains à la barre, sur la pointe des pieds, comme pour mieux s’immerger dans l’aventure imaginaire qu’elle était en train de se construire. Ce fut ainsi durant trois stations, puis le métro s’arrêta à leur destination.

-Faustine, on va descendre.

-Manon et Augustin vont pas me croire maman !

-Je suis sûre que si, tu leur raconteras bien.

-Oh que oui !

Et la petite brune était déjà en train d’expliquer à sa maman comment elle allait épater ses copains et, toute à son enchantement, elle ne remarqua pas le doudou lapin qui restait tristement au sol, ni le mystérieux inconnu qui se pencha, un peu essoufflé pour le ramasser. Mais trop tard.

***

Le lendemain. Même station. Même heure. Faustine ne rigolait plus du tout. Elle serrait fort la main de sa maman et avait les yeux rougis d’avoir sans doute trop pleuré. Elle finit par demander timidement.

-Dis maman, tu crois qu’il sera toujours là, doudou lapin ?

-Je l’espère ma puce. On va voir.

-Bah, quand même, il serait pas parti sans moi. Dis.

-Non, je suis sûre que non.

Faustine était malgré tout un peu inquiète. Et si doudou lapin s’était fait enlever ? Elle casserait sa tirelire-cochon pour payer la rançon, c’est sûr. Elle attendait le métro avec une impatience mêlée d’appréhension. Ce dernier ne se fit pas attendre longtemps. Faustine se rua à la place de la veille et regarda partout autour d’elle, avant de lever un visage décomposé vers sa maman. Pas de doudou lapin. On était proches de la catastrophe cataclysmique pour les tympans de l’ensemble de la rame. Mais une voix bourrue se fit entendre soudain :

-Ce n’est pas ça que tu cherches, petite ?

Et là, doudou lapin qui flottait dans l’air. Enfin presque. Doudou lapin tenu par une grande et grosse main, au bout d’un bras. Mais pour l’instant, Faustine elle, ne voyait que

-Doudou lapin !  

Elle l’attrapa et le serra fort contre elle et regarda sa mère :

-T’as vu, il n’est pas parti !

-Oui, grâce à ce gentil monsieur. Qu’est-ce qu’on dit Faustine ?

-Merci gentil monsieur !

Celui-ci glissa un clin d’œil à la jeune femme, pendant que la fillette voyait enfin l’homme qui leur faisait face. Un « oh » muet s’afficha sur son visage. D’abord il était vieux. Et tout ridé. Un peu gros quand même, mais ça lui donnait un air gentil. Et Il avait un grande et longue barbe toute blanche. Faustine n’en revenait pas.

-Mais t’es le père Noël ?! Mais pourquoi tu prends le métro ? Et pourquoi t’es pas habillé en rouge ?

-Faustine !

L’homme éclata d’un rire franc, chaud et spontané :

-Tu m’as démasqué.

Il se pencha en avant pour parler à voix basse, comme pour confier un secret :

-Ecoute Faustine, ne le dis à personne, mon traîneau est cassé, alors en attendant je prends le métro.

 -Et du coup tu t’habilles pas en rouge pour pas que les gens te reconnaissent c’est ça ?

-Tout à fait petite fille.

La fillette hocha la tête d’un air grave, de celui qui montre qu’elle ne rigolait pas avec ça. Mais c’était déjà l’heure de descendre pour aller à l’école. Faustine s’approcha de l’inconnu et lui chuchota :

-A demain, Père Noël.

-A demain, Faustine.

***

A nouveau le lendemain. Même lieu, même heure. Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. C’était une Faustine rayonnante qui se tenait désormais à la place qu’elle considérait comme la sienne, prête à retrouver cette personne d’importance, que tous les enfants de la terre lui auraient jalousée. Elle avait dressé dans sa tête une liste de questions immensément longue, qui ne manquerait pas de combler plusieurs voyages à coup sûr. Elle voulait tout savoir. Comment c’était sa maison. Comment s’appelaient ses rennes. Où ils habitaient les petits lutins. Comment était sa fabrique à jouets. Comment il faisait pour livrer les cadeaux dans les maisons où il n’y avait pas de cheminée, et autres questions existentielles. Elle arriva au fauteuil fétiche et s’exclama :

-Bonjour Père Noël !

Aussitôt, penaude, elle porta une main à sa bouche, en regardant autour d’elle, heureusement personne ne semblait avoir relevé. Soulagée, elle relâcha sa respiration.

-Bonjour petite Faustine.

-Je t’ai fait un dessin ! Parce que tu as sauvé doudou lapin. Il m’a aidé.

Et la fillette passa le trajet à détailler le magnifique dessin du village du Père Noël, n’omettant pas au passage de demander des précisions. Attendrie, sa mère la regardait faire. Alors qu’une quinte de toux secouait la poitrine du vieux monsieur, Faustine fronça les sourcils :

-Dis Père Noël, t’es pas malade ? Sinon comment tu vas faire pour distribuer les cadeaux ?

-Ne t’inquiète pas fillette, ce n’est pas un rhume qui va arrêter le vieux Père Noël.

Et bientôt ce fut l’heure fatidique de la descente de la rame.

Plusieurs jours passèrent ainsi, l’école laissant place au centre de loisir, qui se trouvait par chance, au même endroit. Faustine continuait donc de voir le Père Noël chaque matin, avec bonheur et exaltation. Elle avait eu une idée et en avait parlé à sa maman. Celle-ci n’avait pu qu’approuver sa fille et l’avait aidée à réaliser son projet.

***

24 décembre. Même heure. Même station. Faustine portait fièrement un paquet enveloppé dans ses petits bras. Elle guettait l’arrivée imminente du métro avec encore plus d’impatience que d’habitude. Souffle d’air, bruit sourd, phares, freinage. La fillette courut à leur place habituelle et s’arrêta horrifiée. Le siège était vide. Vide. Il n’était pas là. Elle tourna son petit visage déconfit vers sa maman, son paquet toujours dans les bras.

-Maman, il est où le Père Noël, dis, il est où ?

Sa lèvre se mit à trembloter, ses narines s’écartèrent et ses yeux devinrent brillants. La jeune femme prit sa petite fille sur les genoux et la serra tendrement contre elle en lui caressant les cheveux :

-Ne t’en fais pas ma chérie. Il doit sans doute être occupé à préparer le grand voyage de ce soir.

-Mais comment je vais faire pour lui donner mon cadeau ? hoqueta Faustine.

-J’ai une idée, répondit malicieuse sa mère.

***

25 décembre. Tôt le matin. Au pied du sapin, chez Faustine.

-Maman, maman ! Viens voir !

A côté de l’assiette de biscuits dont il ne restait que des miettes et du verre de lait vide, se trouvait un ticket de métro où il était marqué :

« Merci pour l’écharpe et le bonnet.

Je vais pouvoir finir ma tournée au chaud.

Joyeux Noël Faustine et à l’année prochaine ! ».