En commençant Les deux vies de Baudouin, je me suis dit : « Oh non, je ne vais pas encore écrire un billet sur Fabien Toulmé ! ». Ben raté, il n’a pas qu’à être si doué ! Parce qu’en fait, en refermant le livre, j’avais pris une sacrée claque, le coeur serré, la gorge nouée par l’émotion et, avouons-le, les larmes qui coulaient sur les joues.

Baudouin, c’est un mec qui ne vit pas, ou plutôt qui subit sa vie. Enfermé dans un boulot qui ne lui plaît pas (juriste dans une grosse boîte parisienne), dans une vie morne où il habite seul avec son chat, dans l’appartement qu’il rembourse grâce à son job « bien payé », son quotidien se résume à métro-boulot-dodo. Pas de loisirs, pas de sorties. Pourtant, on sent qu’il rêve Baudouin, d’autre chose, d’une autre vie, d’explorer ses passions qu’il a fini par éteindre. Son truc, c’est la musique, le rock. Mais aujourd’hui il ne chante plus que sous la douche le matin.

On découvre rapidement son grand frère, Luc, revenu de mission au Bénin, où il travaille comme médecin pour une ONG. Luc, c’est tout le contraire de Baudouin. Sociable, un tantinet désinvolte, il aime séduire et croque la vie à pleines dents, libre et affranchi des regards extérieurs. Il déboule dans le quotidien bien rangé de Baudouin et tente un peu de le sortir de sa routine sans grand succès. On entraperçoit tout de même un Baudouin qui aspire à vivre autrement, nostalgique de son amour de la musique, rêvant d’une jolie rencontre amoureuse, comme une envie de s’échapper de cette routine si fade de laquelle il se sent prisonnier. Parce qu’il a envie Baudouin, mais il a peur, peur de quitter cette vie rassurante et confortable, peur de l’inconnu, peur de ne pas être à la hauteur.

Et un matin, sous la douche, il se découvre une petite boule, juste sous l’aisselle, une petite boule qui n’était pas là avant. Un peu inquiet mais pas non plus effrayé, il laisse passer quelques jours. Il finit par en parler à son frère, qui lui propose un rendez-vous avec un ami à lui, un cancérologue très réputé, juste pour le rassurer. Mais voilà, après quelques analyse, le verdict tombe, cruel et sans appel. Cette petite boule, c’est la partie immergée de l’iceberg. Baudouin est atteint d’un cancer en phase terminale, il ne lui reste plus que quelques mois à vivre.

C’est un coup de tonnerre pour Baudouin. Il s’effondre. Qui ne le ferait pas ceci dit ? Il a le choix entre tenter de pousser la dead line de quelques semaines, quelques mois tout au plus, en subissant des traitements lourds et source de souffrance… Ou profiter à fond de ce qu’il lui reste à vivre. Au début, Baudouin se renferme, se décidant à attendre la mort au fond de son canapé avec son chat et de la musique triste comme seule compagnie… Mais c’est sans compter sur Luc qui vient le chercher par la peau des fesses et grâce à une bouteille de rosé, le pousse à franchir le pas enfin pour vivre cette vie qu’il a toujours effleurée du doigt sans jamais oser y entrer.

Alors enfin, on voit Baudouin prendre le taureau par les cornes, quitter son boulot, envoyer royalement chier son collègue qu’il n’avait jamais aimé, renouer un lien fort avec ses parents tout en assumant ses choix et actions, mettre son appartement parisien en location et il repart avec son frère, au Bénin.

Ce voyage, c’est le début de sa nouvelle vie, où enfin il se découvre, se permet de vivre, de vivre pleinement et se laisse être comme il a envie d’être. Bien sûr, il tâtonne, il trébuche parfois, mais il avance Baudouin. Il fait tout ce qu’il a toujours rêvé de faire et il le fait bien. Enfin, il vit, il vit vraiment.

On suit alors l’évolution et la transformation de Baudouin, grâce à cette nouvelle vie dans laquelle son frère l’a poussé, comme du haut d’un pont. On alterne tout au long du livre, les moments présent et les moments passés (avec un très beau changement de ton dans les couleurs), où on comprend un peu son histoire, sa construction et où on saisit l’importance de l’émancipation qu’il est en train de vivre au moment de l’histoire.

Cette émancipation, cette liberté, c’est sans doute le plus beau cadeau, la plus belle preuve d’amour que son frère puisse lui faire. Même si le cadre est tragique, s’il se lance à corps perdu dans une vie qui lui correspond totalement alors qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, on sent qu’il est enfin heureux. L’histoire est magnifique, les personnages attachants et touchants, et la fin est bouleversante. C’est un très beau moment de littérature, une pépite à lire et surtout à partager. Et enfin, et surtout, c’est une extraordinaire leçon de vie.

Et Monsieur Toulmé, merci pour ça.