(Nouvelle issue du concours Georges Sand, thématique : « manuscrit oublié »)

A celui qui est mon Tarik.

Jour 1

La guerre a éclaté. Boum. Presque d’un coup. Il aura suffi de quelques étincelles pour allumer la mèche, pour que gronde le tonnerre. Le sol a tremblé, les cris ont envahi les rues. Partout. Les prémices pourtant, ont annoncé quelques secousses qui auraient pu nous alerter. Un changement de climat politique, moins de mouvements protestataires, plus de violence dans la répression. Les rues s’étaient faites plus silencieuses, les visages plus fermés, l’ambiance plus tendue, parfois même électrique. Les rires s’étaient étouffés, même ceux innocents des enfants. On avait osé s’exprimer de moins en moins librement, le regard des autres s’était teinté de sévérité, tranchant. Des rumeurs folles s’étaient mises à circuler, mais on n’y croyait pas. Non, ça ne pouvait pas arriver. Pas maintenant. Pas ici. Pas chez nous.

Et pourtant. La ville, ma ville, résonnait du bruit des bombes, des tirs, des hurlements menaçants, des pleurs déchirants. La terreur avait succédé à la peur qui régnait tout autour de nous. Peu à peu, on avait laissé nos moyens de contester, librement, s’éteindre, se faire interdire, les uns après les autres. On s’était enfermé.e.s dans une lutte pour la vie, dans un rythme infernal qui ne laissait plus de place pour penser. Tarik, mon conjoint, mon partenaire au quotidien, travaille à la réinsertion des mineurs délinquants. Il avait vu pourtant, les lois se durcir, les moyens diminuer, la tolérance se raréfier. Moi, Esen, je suis journaliste. Jusque-là, j’écrivais des articles pour des médias indépendants, sur des sujets historiques, politiques, sociétaux, féministes et militants. J’avais remarqué la difficulté toujours plus importante à trouver des réseaux susceptibles d’accueillir mes billets engagés, quand ceux que je connaissais se voyaient contraints de fermer un à un.

Mais on ne s’était pas méfié.e.s, pas assez. Ils avaient pris le pouvoir, insidieusement, sournois, s’infiltrant çà et là, se répandant comme la peste dans chaque artère essentielle de notre fonctionnement sociétal. À force de travail dans l’ombre, de corruption, de propagande déguisée, ils avaient imposé leurs idées, finissant par prendre la main sur des postes stratégiques. Et il y a peu, un mort. Lors d’une manifestation pacifiste pour l’égalité d’accès aux soins. Un homme qui restait assis, malgré la sommation des forces de l’ordre en place, à bouger. Il a voulu attraper quelque chose dans sa poche. Ils ont tiré. A balles réelles. Et tout s’est enflammé. La tentative de révolte qui a suivi a été écrasée sans vergogne. Sans pitié. La main infernale, qui planait au-dessus de nous depuis quelques temps, s’est refermée avec ses griffes d’acier, nous emprisonnant dans sa toile soigneusement tissée. Maintenant, il va falloir survivre.

Jour 7

Une semaine. Sept petits jours. Plus rien n’est comme avant. La vie telle qu’on la connaissait n’existe plus. Les mouvements de panique, les hurlements, les larmes, le vacarme assourdissant des combats ont laissé place au silence. La mort s’est invitée dans nos rues. Mort de celles et ceux qui ont voulu résister. Mort de celles et ceux qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Mort de nos valeurs, mort de nos bonheurs, mort de nos idées, mort de nos rêves, mort de nos espoirs. Plus personne ne parle, plus personne ne se regarde, plus personne ne déambule, ni ne flâne.

Et la survie, c’est loin de l’héroïsme fantastique qu’on nous vendait dans les livres d’histoire ! Non, ça se résume à boire, manger, dormir, se laver et ne pas se faire tuer. La répression est trop forte, trop violente, alors chacune, chacun de nous ne peut pas faire plus que de lutter pour sa propre survie, le cœur brisé d’assister impuissant.e, à la chute de nos compagnes et compagnons de fortune. Ils nous ont privé.e.s de notre liberté la plus fondamentale : celle de penser. Annihilé notre capacité à réfléchir, à critiquer. Ils ont arrêté et exécuté les universitaires, les scientifiques, les philosophes, les enseignant.e.s, les politiques, les écrivain.e.s, les artistes… Ils ont coupé l’accès au monde, à l’information et au savoir en nous privant d’internet, et ne diffusent plus qu’une seule chaîne audio et visuelle : la leur.

 Tous les lieux culturels et artistiques sont interdits d’entrée, quand ils n’ont pas déjà été détruits par les bombes meurtrières de ces derniers jours. Lorsqu’on sort dans la rue, la fumée âcre des autodafés s’infiltre, étouffante, à l’intérieur de nos narines et compresse la poitrine et le cœur. Ils ont brûlé nos livres, nos films, nos instruments, nos œuvres d’art. Du patrimoine, de la culture, de ce qui fait la subtilité et la complexité de l’être humain, il ne reste plus rien.

Les souvenirs, pour l’instant, il nous faut les mettre de côté. En tant que journaliste, ma vie est en danger. Ils ne sont pas venus me chercher, pas encore. Bientôt ils seront suffisamment organisés pour nous traquer. Pour l’heure, avec Tarik, on profite de ces quelques instants de paix volés. On parle, on chante tout bas, on se raconte. On ne veut pas oublier ce qui a fait de nous qui on est. Notre identité propre. On sait aussi qu’on va devoir prendre des décisions difficiles, mais à ce moment précis, mes mains virevoltent, délicates, dans une caresse fugace, sur le visage de cet homme dont le cœur s’est lié au mien à jamais. Allongée sur lui, un drap léger recouvre nos corps nus, frissonnant de la sueur témoin de ce temps d’amour partagé, puissant et harmonieux. Nos souffles saccadés ont laissé place à une respiration plus lente, plus calme, plus apaisée. Je m’abandonne à la contemplation de ce moment d’échange muet. Encore grisée par l’ivresse de notre étreinte, je navigue en état d’ébriété dans les volutes embrumées de l’éther vaporeux. Les paupières mi-closes, je me pose sur ce nuage de volupté éthylique sur lequel m’a emmenée notre union, un sourire encore extatique éclairant mon visage. Je rouvre les yeux et je le vois, à la fois serein et exalté. Une bouffée intense de tendresse et de passion m’envahit. Alors, dans le silence du battement de nos cœurs, je lui murmure :

– Tarik, mon amour, promets-moi qu’on jouira tant qu’on le peut, de notre paix, de notre intimité, qu’on s’aimera à travers ce que la vie met sur notre chemin, qu’ensemble toujours nous serons libres, d’être et de vibrer, qu’on chérira ces moments précieux, jusqu’à ce que le joug implacable de celles et ceux qui ont pris le contrôle de notre société, plein.e.s de haine et de vices, aveuglé.e.s par la soif du pouvoir, ne vienne nous plonger dans l’obscurité. Promets-moi que nous serons, ensemble, ou nous ne serons plus.

Je le fixe du regard, gravant en moi ces traits qui se dessinent sous la pulpe de mes doigts tremblants, comme s’il allait disparaître sous mes yeux, maintenant. Il m’observe également sans un mot, l’air soudain grave et sérieux, et d’un coup se redresse assis, me ramène à lui dans toute la douceur de sa force, là, tout près et attrape mon visage entre ses mains :

– Esen. Tant que ton sourire si beau, si bienveillant, si rayonnant resplendira, jamais la nuit ne viendra. Tant que ton regard propagera cette énergie déterminée, volontaire, passionnée, qui fait de toi la femme extraordinaire que tu es, tant que tu continueras d’être animée par cette foi inébranlable que tu portes à la vie, qui te rend unique et authentique, jamais la nuit ne gagnera. Je t’aime Esen, tu es mon phare dans les ténèbres qui nous menacent. Et moi, je te promets de tout faire pour que toujours tu puisses briller, briller de ton sourire qui me guide et me rassure, de ton regard qui me rend plus fort et de ton énergie qui me nourrit, pour que toujours tu aies la liberté d’exister dans ce qui fait de toi cette femme incroyable, que j’ai la chance infinie d’aimer chaque jour. Esen, je serai ton souffle sur les braises et ensemble, dans notre complémentarité et notre complicité, nous serons un flambeau éclatant, repoussant l’ombre menaçante.

Des larmes silencieuses coulent sur nos joues. La force du désespoir nous rapproche encore un peu plus, et c’est en partageant une étreinte bouleversante que nous plongeons pour quelques heures dans un sommeil que l’on sait précieux.

Jour 12

Trembler. Se cacher. Chaque jour. La vie fugitive a commencé. L’exode erratique nous frappe, nous, les personnes qui avons eu le malheur d’afficher publiquement des positions opposées à leurs valeurs. Nous qui avons fait entendre notre voix, qui donnons à voir le monde autrement, les yeux grands ouverts, en posant les questions qui dérangent l’ordre établi. Le marasme résigné de la population s’est répandu, comme porté par l’air, ne laissant aucune chance à quiconque d’en réchapper. L’accablement profond résonne du silence lourd, témoin de la vie qui s’est arrêtée, ponctué seulement des tirs de rafales menaçants, d’ordres vociférés auxquels il faut obéir sans réfléchir si on ne veut pas risquer de fermer les yeux pour l’éternité, de pleurs lancinants d’humains dont le cœur a été brisé, vidé de son substrat parti avec l’âme tant chérie qui vient de leur être enlevée, sans aucune émotion, par une personne dont l’humanité a été broyée par la machine impitoyable de la pensée unique.

Mais ma pensée n’est pas unique, elle ne peut pas l’être et ne le sera jamais. Ma pensée est multiple, volatile, instinctive, réflexive. Ma pensée les dérange. Ma pensée leur fait peur. Ma pensée est une arme dangereuse et contagieuse, qu’ils doivent éliminer à la source. Ils le savent. Les mots, le langage, c’est ce qui crée et écrit l’Histoire. C’est ce qui nous construit et nous identifie. Ça nous appartient, à tout un chacun, propre à qui on est, qui on veut être et qui on devient. Ce langage, c’est leur plus grande menace, dans le pouvoir contestataire qu’il véhicule. Alors, comme je pense librement, il faut me faire taire, moi et tou.te.s celles et ceux qui sont des vecteurs de cette pensée libertaire.

Nous avons dû partir. Laisser sans nous retourner tout ce qui restait de notre vie d’avant. C’est dans ces moments qu’on prend pleinement conscience de la valeur des choses. De l’essentiel pour continuer d’avancer. L’amour des gens qui nous entourent, les images, les sons, les saveurs qui peuplent notre cœur et notre mémoire, parfois puissant.e.s, parfois éphémères, parfois présent.e.s, parfois réminiscent.e.s. Et c’est tout. Le reste n’est que du plus formidable qui nous permet de vivre pleinement heureu.x.se.

Très rapidement, les contrôles se sont renforcés. Ils voulaient purger la population de l’élite diffamatoire porteuse d’une influence néfaste. Je savais que ça n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne remontent jusqu’à moi. Les quelques personnes avec qui j’avais réussi secrètement à garder contact ont cessé une à une de donner signe de vie. Sans doute ont-elles fait comme moi et ont disparu de la circulation.

Une nuit, on s’est réveillés, le cœur battant. Dans notre rue, des éclats de voix, des cris, des coups. En jetant un regard furtif par la fenêtre, on a vu. Des soldats, partout, des camions dans lesquels ils faisaient monter hommes et femmes. Et sous nos yeux, l’indicible. Une femme, son nourrisson dans les bras, a voulu rattraper son compagnon, menotté et escorté par deux hommes armés, membres de la milice. Mue par la douleur, la femme a tenté de repousser celui qui lui barrait le chemin, sa main libre tendue vers le père de son enfant. Il l’a cognée au visage. Elle est tombée sous la force de l’impact et sa tête a heurté le trottoir, ses bras ayant créé une barrière de protection tout autour de son tout-petit, qui s’est alors mis à pleurer. Le père est devenu fou, mais ils l’ont maintenu de force, à plusieurs. Celui qui avait frappé a sorti son arme. Une expression implacable et terrifiante dans son impassibilité qui figeait ses traits. Et il a tiré. Trois fois. La mère. L’enfant. Le père.

Je n’ai plus entendu que l’écho des coups de feu mêlé aux éclats brisés des cœurs qu’ils venaient de détruire, de manière glaciale. Inhumaine. J’ai assisté à la scène, impuissante, un cri silencieux sortant de ma poitrine. J’aurais voulu hurler, hurler à m’arracher les cordes vocales, à me griffer le visage, à me percer les yeux, pour ne plus voir ces expressions d’incompréhension intense, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre la douleur qui vous coupe le souffle. Longtemps je serai hantée par ces regards déchirés par l’horreur exprimée dans chaque parcelle de leur corps hurlant à la détresse, longtemps j’entendrai, la nuit, les pleurs de l’enfant.

Je n’ai plus bougé, hébétée, en état de choc. Pourtant, il y a cette voix basse qui murmure à mes oreilles :

– Il faut y aller, viens, ne reste pas là… Esen…

Tarik m’a arrachée à ce macabre spectacle, m’a prise contre lui et m’a serrée de toutes ses forces, étouffant les sanglots qui me secouaient. On est restés prostrés comme ça un moment. Je ne puis dire s’il a duré des secondes, des minutes, des heures. Mais de nouveau des éclats de voix grave, plus proches cette fois, nous ont sorti de la torpeur traumatique, perçant la bulle à l’intérieur de laquelle on s’était réfugiés. Un regard a suffi à nous comprendre. Tarik a rassemblé et brûlé nos papiers, pendant que je regroupais de quoi manger et boire pendant un temps, une photo de notre union et le petit paquet de nos premiers échanges épistolaires. Nous sommes sortis, nos sacs sur le dos, avons rejoint la petite cour arrière, tandis que nous entendions la porte d’entrée s’ouvrir violemment et avons escaladé le mur pour rejoindre le dédale sinueux des ruelles et se fondre dans le noir de cette nuit sanglante. Dans notre lutte pour survivre, la décision, le choix, s’est imposé de lui-même. Finalement, notre vie, elle tient dans un petit sac. Deux âmes-sœurs, leur cœur et leurs souvenirs. Une image de deux amoureux sous un cerisier en fleur au printemps. Un carnet. Un crayon.

Jour 21

On n’imagine pas la puissance hypnotique du thé qui infuse. Le vert des feuilles, le vert profond qui immédiatement teinte l’eau, cette coloration qui délicatement se diffuse dans une spirale gracile, un ballet ondulant au gré du mariage entre l’eau et la feuille. Ça a presque quelque chose de sacré, de précieux, ce moment. Préparer le thé, c’est un temps de paix, de calme et de sérénité, un temps pour soi, où l’on peut porter un regard introspectif, réflexif, perdu.e dans la contemplation du spectacle immobile et pourtant lieu d’une profonde transformation. L’eau devient du thé. Sa nature s’enrichit, sa fonction est autre. L’instant sublime. Préparer le thé, c’est retrouver un peu de tout ce qu’ils nous ont pris. C’est goûter la liberté dont ils ne pourront jamais nous priver.

On a passé des jours entiers à migrer de ruines en ruines. On s’est cachés le jour dans des immeubles en partie effondrés, piochant de quoi manger et boire dans les habitations à la fois vides de leurs occupants et pleines de la présence de leur âme. J’ai scruté des visages, des sourires, souvent partiels, brûlés ou déchirés. La nuit, on a rejoint un réseau clandestin qui a réussi à s’organiser. Avec nos mots, nos traits, on a écrit, dessiné, peint sur les murs blancs de la ville pour protester, dénoncer ; nous, porteurs d’espoir, d’idées qu’on ne doit pas oublier. On a jeté à leurs yeux la violence qu’ils nous font subir, l’annihilation qu’ils entraînent, l’avilissement des femmes redevenues esclaves de leur condition sexuée et genrée. En appauvrissant la nature humaine et en la réduisant à sa fonction archaïque, ils entrent dans un paradoxe absurde, où pour offrir une société épurée et modèle, qui prône des valeurs de retour aux sources, à l’essentiel, ils enferment les gens dont ils ont détruit l’existence dans un schéma de fonctionnement qui n’a aucun sens, si ce n’est assurer un pouvoir absolu. Mais les mots, on peut les dire, les écrire, partout, n’importe quand. Ils auront beau effacer, on recommencera encore, et encore. Jusqu’à réveiller les consciences engourdies par la peur et l’automatisme de vie qui a été installé insidieusement.          

Le thé fume, brûlant. Bientôt, je me rends compte que mes yeux embués laissent couler des larmes dont la chaleur se mêle à la vapeur qui danse gracieusement au-dessus de la tasse. Ils n’ont pas apprécié. Le défi, la révolte, qui pour eux représente la gangrène à ne pas laisser se propager. Il fallait la couper au garrot. Alors, ils nous ont traqués sans relâche, ils ont riposté sans vergogne, redoublant de violence et nous obligeant à toujours plus de prudence. Notre lutte pour la survie hors de leur joug, s’est métamorphosée en un jeu dangereux, où chaque minute peut devenir la dernière. On a perdu nos forces physiques en nourrissant notre combattivité.

Un matin, l’aube pointait à peine, ils sont arrivés. On a entendu leurs pas résonner, les bottes martelant le sol de coups sourds, tambour battant annonciateur d’un destin funeste qui nous échappe. On s’est relevés tremblants, affaiblis par la faim et la fatigue, nos mains liées l’une contre l’autre. J’ai croisé son regard et j’ai su. Il a posé ses doigts sur ma joue, essuyant de son pouce mes yeux humides, dans la tendresse de son amour infini et a murmuré :

– Brille mon étoile. Sois le flambeau qui nous guidera toujours, à jamais. Je t’aime.

Il s’est retourné, a pris un caillou qu’il a lancé aussi loin que possible et a couru en sa direction. Aussitôt j’ai entendu des cris, un bruit de course puis… rien.

Espoir.

Un cri.

Non.

Un coup de feu.

NON.

Deux coups de feu.

Silence.

Je suis restée là, debout, tremblante, interdite. Je n’ai pas compris. Je n’ai pas voulu comprendre. Il allait revenir. Il allait forcément revenir. Un éclat de rire a retenti. Puis deux. Puis… je n’ai plus entendu. Mon cœur s’est arrêté de battre. En l’espace de quelques secondes, ma vie, ce qu’il en restait, a basculé et j’ai eu la sensation de tomber dans un abîme éternel. Mon partenaire, mon ami, mon confident, mon compagnon de lutte, mon amant, mon amour, mon tout. Il n’est plus. De la douceur de son sourire, de son visage avenant, du ton apaisant de sa voix grave, de ses éclats de rires, de sa force tranquille, roc dans les tempêtes, pilier quand tout s’effondre, il ne me reste plus que ma rage, ma rage de vaincre, ma rage de vivre. Pour lui, pour nos rêves, nos idéaux. Pour toutes celles et ceux tombé.e.s au combat dans leur volonté de rester debout. Libres. Vivant.e.s.

Tandis que s’élevait le brasier non loin, où se consumaient les cendres des derniers corps retrouvés là, dans ce qui avait dû être une rude bataille, le soldat se tint incertain, un carnet à la main, au-dessus des flammes. Il jeta un œil furtif autour de lui. Les derniers mots résonnaient dans son esprit. Debout. Libre. Vivant. Sans plus hésiter, il arracha les quelques pages griffonnées qu’il glissa sous son t-shirt, tandis que le reste du carnet allait rejoindre ce qui restait d’un paquet de lettres, d’un petit sac et d’une photo de deux amoureux se souriant dans la blancheur d’un cerisier en fleurs…